SOPHIE ANDREOLETTI
artist
FR: Peux-tu nous parler de ta dernière série? / EN: Can you tell us about your latest series?
FR: Ma dernière série n’est pas vraiment la dernière, elle trotte dans ma tête depuis mai 2023. Il s’agit d’une série de céramiques représentants des éléments du jardin, qui sont finalement des souvenirs forts de mon enfance. J’ai essayé de reproduire certains éléments comme la cabane dans les bois que mon père m’avait construite, la montée d’escalier dans laquelle je me suis fait tant mal, la sculpture en pierre en forme de lion, dans le jardin même avant ma naissance. L’idée derrière cette série est de laisser la nature « terminer » les sculptures, car je les laisse sous la pluie. La céramique non cuite étant poreuse, j’attends que la pluie détruise les formes, les souvenirs. Une métaphore du temps qui passe, des souvenirs et de la joie de cette enfance qui s’en va en même temps que s’enchainent les pluies. Je voudrais appeler cette série « les Ruines »
Il y a aussi l’idée de lâcher prise sur son travail, qui est un très gros travail que je dois faire sur moi-même, qui suis tant attachée à la perfection.
EN: My latest series isn't really the last; it's been running through my mind since May 2023. It's a series of ceramics representing elements of the garden, which are ultimately strong memories of my childhood. I've tried to reproduce certain elements, such as the hut in the woods that my father built for me, the staircase I hurt myself so badly on, and the stone sculpture in the shape of a lion, in the garden even before I was born. The idea behind this series is to let nature ‘finish’ the sculptures, because I leave them in the rain. Unfired ceramics are porous, so I wait for the rain to destroy the shapes and memories. It's a metaphor for the passage of time, for memories and the joy of a childhood that's disappearing as the rains come and go. I'd like to call this series ‘Ruins’.
There's also the idea of letting go of one's work, which is a very big job that I have to do on myself, as I'm so attached to perfection.
FR: Comment te sens-tu à Milan, loin de chez toi, la Franche-Comté, la nature, et ce que tu as toujours connu? / EN: How do you feel in Milan, far from home, the Franche-Comté region, nature and everything you've always known?
FR: L’adjectif que je trouve adapté est déracinée. Je me sens hors de chez moi, loin de la nature qui m’a tant entourée. Milan c’est l’effervescence, la pollution et le bruit. Mais je pense que pour qu’une plante devienne plus forte, il faut parfois la déraciner afin de la mettre dans un pot plus grand, pour qu’elle se renforce.
EN: The adjective I find appropriate is uprooted. I feel out of place, far from the nature that has surrounded me so much. Milan is bustling, polluted and noisy. But I think that for a plant to grow stronger, you sometimes have to uproot it to put it in a bigger pot.
FR: Quel est le quotidien d’une étudiante en art, à la Brera? / EN: What's everyday life like for an art student at the Brera?
FR: C’est un quotidien bien loin de celui que j’avais à Besançon en France. Ici, il n’y a pas de place pour travailler, pas de box, ni de studio. Milan est une petite ville est surpeuplée de jeunes artistes. Difficile dans une vieille école de 5000 élèves de trouver sa petite place. On travaille chez soi, on adapte ses techniques. On se porte sur la photo, la vidéo. On évite la peinture à l’huile dans la chambre, trop peur de s’intoxiquer.
A la Brera, il y a aussi beaucoup de cours théoriques, très lourds, où il faut lire beaucoup de livres. Une atmosphère très pesante, on pense aux examens, aux oraux, aux prochains livres obligatoires à lire.
Mais malgré cela, je ne regrette pas d’être partie. IL existe à travers ce manque d’espace une entraide générale hyper bienveillante, tout le monde discute, on se critique mutuellement, on avance tous ensemble car nous sommes tous dans le même bourbier.
Alors qu’en France nous étions tous dans cette grande salle immense, nous travaillions dans un espace de travail formidable, mais les relations étaient toutes autres. Il y régnait cet esprit de compétition malsain, qui nous empêchait de nous parler, d’avancer ensemble. Aujourd’hui je n’ai presque plus de lien avec mes amis de là-bas. Ici, on m’a déjà proposé de créer un collectif, j’ai pu déjà faire une résidence en toscane, les profs sont bienveillants et nous poussent à exposer hors les murs.
Je me sens moins étrangère et plus incluse en étant en Italie qu’à Besançon.
EN: It's a far cry from what I had in Besançon in France. Here, there's no place to work, no cubicle, no studio. Milan is a small city and overcrowded with young artists. In an old school with 5,000 students, it's hard to find a little space. You work at home, adapting your techniques. You focus on photography and video. You avoid oil paints in the bedroom for fear of poisoning yourself.
At the Brera, there are also a lot of very heavy theoretical courses, where you have to read a lot of books. It's a very heavy atmosphere, you're thinking about exams, orals and the next compulsory books to read.
But despite that, I don't regret leaving. Because of this lack of space, there's a very benevolent atmosphere of mutual support, everyone talks, we criticise each other, we all move forward together because we're all in the same quagmire.
Whereas in France we were all in this huge room, we work in a fantastic workspace, but the relationships were completely different. There was this unhealthy spirit of competition, which prevented us from talking to each other and moving forward together.
together. Today I hardly have any contact with my friends there. Here, I've already been offered the chance to create a collective, I've already been able to do a residency in Tuscany, the teachers are benevolent and encourage us to exhibit outside the walls.
Being in Italy makes me feel less of a stranger and more included than being in Besançon.
FR: T’exposer à l’art / la culture italienne a nécessairement influencé ta réflexion sur l’art en général / ta pratique - qu’en penses-tu ? EN: Exposure to Italian art/culture has necessarily influenced your thinking about art in general/your practice - what do you think?
FR: Je relie cette question avec celle d’avant. Car même si on n’a pas d’endroit pour créer, on partage dix fois plus, peut-être que ça permet justement de plus grandes réflexions sur ta propre création, le monde de l’art. Finalement le monde artistique italien et français sont très proches. Je ne suis pas perdue en apprenant leur histoire car elle est reliée à la nôtre. Cependant le changement de mentalité et cette ouverture ne peut que me faire évoluer.
J’ai appris et évolué avec chaque année des beaux-arts. C’est le bon côté de la curiosité. Curiosité que j’ai exploitée en voulant partir ailleurs qu’en France et en changeant d’école.
Chaque année j’ai l’impression de tout redécouvrir, d’aimer de nouvelles choses. J’ai appris aussi à la Brera que la qualité valait plus que la quantité, ce qui n’était pas le cas de mes collègues à Besançon.
EN: I relate this question to the one before. Because even if you don't have a place to create, you share ten times as much, maybe that just allows you to think more deeply about your own creation and the art world. In the end, the Italian and French art worlds are very similar. I'm not lost when I learn about their history because it's linked to our own. However, the change in mentality and this openness can only help me to evolve.
I've learnt and evolved with each year of fine art. That's the good thing about curiosity. Curiosity that I've exploited by wanting to go somewhere other than France and by changing schools.
Every year I feel like I'm rediscovering everything and loving new things. I also learnt at La Brera that quality is worth more than quantity, which wasn't the case with my colleagues in Besançon.
FR: Que cuisines-tu pour te réconforter en ces temps pluvieux ? / EN: What do you cook to cheer you up in these rainy days?
FR: Des choses qui me rappelle mes parents, ma vie en France : le mont d’or d’automne au four, j’ai un amour infini pour le fromage.
Après j’aime passer du temps à cuisiner. J’aime les repas qui prennent du temps à faire. J’aime prendre soin de chaque légume, même si à la fin le repas est vite avalé. L’important est de prendre conscience, de se détendre et de se relâcher.
J’ai tendance à lier des plats à des souvenirs et des saisons. Par exemples, les plats que j’ai réalisé l’année dernière durant ces moments difficiles, je ne peux plus les refaire aujourd’hui.
EN: Things that remind me of my parents, my life in France: autumn baked Mont d'Or, I have an infinite love for cheese.
Then I like to spend time cooking. I love meals that take time to prepare. I like to take care of each vegetable, even if the meal is quickly swallowed in the end. The important thing is to become aware, relax and unwind.
I tend to link dishes to memories and seasons. For example, the dishes I made last year during those difficult times, I can't do again now.
FR: Ton travail mêle le visuel et le verbal. Pourquoi les mots sont si importants pour toi ? / EN: Your work combines the visual and the verbal. Why are words so important to you?
FR: Pour mots les mots ont eu une grande importance dès que j’ai appris (en première année des beaux-arts) qu’ils pouvaient être utilisés dans l’art autant que l’image. Car avec les mots, l’important est la personne qui le lit, et non plus l’artiste. Sans lecteur, le mot n’existe pas vraiment. L’imaginaire est unique à chaque individu (de par son éducation, sa culture...) La pensée unique de chaque personne fait l’œuvre. Les possibilités sont donc infinies et peuvent toucher quasi la totalité de la population.
Pour moi les mots peuvent être plus forts que les images. Ils nous amènent plus loin, plus profondément en nous.
EN: Words were very important to me as soon as I learned (in my first year of art school) that they could be used in art as much as images. Because with words, the important thing is the person reading it, not the artist. Without a reader, the word doesn't really exist. The imagination is unique to each individual (because of his or her upbringing, culture, etc.). The possibilities are therefore infinite and can affect almost the entire population.
For me, words can be stronger than images. They take us further, deeper inside.
FR: Peux tu nous partager un de tes poèmes japonais que tu écris quotidiennement? ou un häiku qui t’inspire ? / EN: Can you share with us one of the Japanese poems you write every day? Or a häiku that inspires you?
“Comme une touche de lumière
Tableau impresionniste
Bec du merle”
“Dessous de bootes chouinantes
Ballet de branches
Vieilles feuilles et limaces fluos”
“Coquelicots, amicaux alter ego
En bouquets à l’improviste éclots
Pour confirmer les sentiers, pour confirmer Les rus harassés des collines”
Andrea Zanzotto, Haïkus pour une saiso
“Lorsqu’il sombre dans le couchant
Je me réveille
Dans le rose-avril”
Andrea Zanzotto, Haïkus pour une saison
“Briguebalant
Le rouge du fourgon postal
Réveille un champ endormi”
Fujii Lika, Guenka – fleurs de mirage Version traduite
“Bien qu’amassée par le feu
La broussaille
Se met à bourgeonner”
Bonchô
